triple

Accueil > Publications et revue de presse > 2002 - La revue lorraine populaire (FR)

2002 - La revue lorraine populaire (FR)

La revue lorraine populaire

Février 2002, n° 164
Laurent Granier Héraldiste
par Jean-Marie Cuny

L’artiste était déjà vivement recommandé par une de nos influentes lectrices et, l’attentive Germaine Meyer-Noirel avait consacré quelques pages au talent de ce créateur-héraldiste dans la revue "L’Ex-libris français" Ina 204 et 211 - Association des Collectionneurs d’ex-Iibris à la B.M. - 43, rue Stanislas - 54000 Nancy).

J’ai donc rencontré Laurent Granier pour la première fois lors des journées d’études réservées aux héraldistes dans le cadre des Archives de Lorraine 11, rue de la Monnaie - Nancy). Ce spécialiste en art héraldique est un sympathique autodidacte de 36 ans dont le talent en la matière est remarquable. Outre sa connaissance de la science des armoiries, Laurent Granier possède une Maîtrise d’histoire et de Lettres modernes. En 1995, il se décide à faire de sa passion pour l’art du blason sa profession, désormais Laurent Granier est tout dévoué à son art.

Laurent Granier, qu’est-ce qu’un héraldiste ?

 L’héraldiste est celui qui pratique l’héraldique, c’est—à-dire la sienne et l’art des armoiries. Le terme héraldique est un néologisme hérité du XIXe siècle français, dérivé de "héraut". Les hérauts, sous l’Ancien Régime, étaient des fonctionnaires chargés d’administrer tous les problèmes liés aux armoiries (enregistrement, répertoire des armes, procès...) dans la limite de leur juridiction, souvent une province. Ce néologisme rend peu compréhensible ce à quoi le terme "héraldique" fait vraiment référence. Pour ma part,j’aurais moins de mal à me présenter professionnellement en tant qu’armoriste". Donc lorsqu’on me demande quelle est ma profession, je réponds "héraldiste", c’est-à-dire : "le suis un graphiste et un historien spécialisé en armoiries".

Héraldiste au XXle siècle, n’est-ce pas une fonction désuète ?

 L’héraldique a donc la caractéristique assez rare d’être à la fois une science annexe de l’histoire (comme la numismatique) et un art à part entière. On trouve ses premières traces sur des sceaux apposés à des documents datés de la première moitié du XIIe siècle, dans un espace géographique situé entre la Loire et le Rhin. Sa naissance et sa première vocation furent le fait des combattants dont l’équipement défensif couvrait tout le corps : les belligérants avaient besoin de signes de reconnaissance afin de distinguer l’allié de l’ennemi. Très rapidement, cette emblématique militaire fut adoptée par le reste de la société médiévale, par la diffusion des sceaux armoriés et des tournois. Très tôt les armoiries deviennent une marque de propriété qui se diffuse dans la société civile pour couvrir tous les objets d’art et de la vie quotidienne. Cette grande vogue des armoiries concerne les trois ordres de la société médiévale. Il n’y a donc pas en France de restriction du port des armoiries (la capacité héraldique) à la seule noblesse jusqu’à la Révolution Française. Pendant la Révolution, elles sont amalgamées aux titres de noblesse et aux privilèges féodaux, abolis le 19 juin 1790. L’usage des armoiries est interdit, les supports armoriés sont donc souvent détruits. Cette iconoclastie s’intensifie sous la Terreur et a pour résultat des dommages considérables sur le patrimoine français autant civil que religieux. Le XIXe siècle, avec la valse des régimes, verra les armoiries successivement réservées à la noblesse, confisquées par le conseil du sceau puis enfin retourner dans le domaine public. La situation juridique actuelle est donc celle qui prévalait sous l’Ancien Régime, c’est-à-dire que la capacité héraldique concerne tout un chacun. Cet état de fait a été confirmé par la jurisprudence actuelle qui fait des armoiries un accessoire indissoluble du nom patronymique, noble ou non. Ainsi, chacun peut librement adopter les armoiries de son choix à la seule condition de ne pas usurper celles d’autrui déjà existantes (N.B. : les litiges sont jugés par les tribunaux civils).

Quelles sont vos pistes de recherche ?

 Elles se font au niveau régional, national et européen dans des fonds documentaires publics et privés.
Les recherches d’antériorité : toute création d’armoiries est précédée d’une recherche d’antériorité qui permet d’éviter, autant que faire se peut, d’attribuer à une famille, une personne, une commune, une société... des armoiries déjà existantes et d’être éventuellement poursuivi pour usurpation d’armoiries.
Les identifications d’armoiries : ce sont les armoiries qui figurent sur des objets d’art, de la vie quotidienne ou des bâtiments, dont on recherche la famille, la ville, l’ordre religieux ou la corporation qui en était le propriétaire, le commanditaire ou le destinataire. A partir des armoiries, l’héraldiste peut rendre de grands services aux historiens de l’art, aux experts d’art, aux commissaires-priseurs, aux antiquaires qui peuvent ainsi affiner la datation d’un objet, connaître sa provenance géographique, voire révéler sa valeur marchande si par exemple il a appartenu à un grand personnage. Ces recherches concernent également les particuliers qui cherchent à connaître l’histoire d’un objet ou de la maison qu’ils possèdent.

Les recherches d’armoiries :

A l’inverse des précédentes, on recherche des armoiries inconnues à partir d’un nom de famille, d’une localisation géographique, cela bien sûr en s’appuyant sur une généalogie.

Quels procédés employez-vous pour vos réalisations ?

 J’emploie une technique qui mêle les meilleurs pigments de gouache (couleur opaque) et d’aquarelle (couleur transparente) sur des papiers chiffon à la forme Arches (fabriqués en France depuis le XVe siècle). Je travaille aussi le dessin au trait en noir et blanc à l’encre de Chine. Je réalise également des dessins originaux selon ces mêmes techniques traditionnelles qui sont ensuite numérisés pour les usages les plus modernes et déclinés sur les matériaux les plus divers (impression numérique, offset, sérigraphie...) L’ordinateur est un moyen de faire /’interface entre mes réalisations et les techniques actuelles de reproduction. Selon moi, ce n’est en aucun cas un outil de création capable de remplacer la qualité de production de la main de l’homme et surtout l’émotion qu’elle peut sus-citer. D’autre part, mes réalisations peuvent être déclinées sur les matériaux les plus nobles et selon les techniques artistiques les plus traditionnelles telles que la gravure sur cuivre en taille-douce, le gaufrage de papier (appelé aussi timbrage à sec) d’après une plaque de laiton gravée en creux à la main, la gravure à la main de médailles etc. Tous mes travaux sont uniques et réalisés sur commande.
On distingue l’interprétation d’armoiries déjà existante et la création d’armoiries : Pour cette première, il s’agit de reproduire des armoiries historiques selon mon propre style. A cette occasion mes commanditaires découvrent parfois la beauté de leurs armes en couleurs alors qu’ils n’en connaissaient qu’une image rigide et monochrome dans les armoriaux (ouvrages répertoriant les armoiries) du siècle dernier ou sur une pièce d’argenterie. C’est également l’opportunité de retrouver ; par un travail complémentaire dans les archives, les ornements extérieurs (tous les éléments décoratifs et signifiants qui entourent l’écu) de ces armoiries familiales. Cela peut également être l’occasion pour certaines armes qui auraient été reproduites avec des erreurs au cours du temps de retrouver leur aspect originel. La reproduction d’armoiries m’est souvent commandée à la suite d’une découverte faite lors d’une recherche généalogique. Je réalise des arbres généalogiques armoriés ou non et des tableaux de quartiers de noblesse. Depuis quelques années, les demandes d’ex-libris se multiplient.

A quel public destinez-vous votre travail ?

 C’est un travail aussi passionnant que délicat que de donner vie à de nouvelle armoiries avec l’espoir qu’elles soient adoptées par toute la famille de mon commanditaire et transmises à ses descendants qui eux-mêmes les transmettront aux générations suivantes. La demande de création d’armoiries croît très régulièrement. Dans ce cas, mes clients sont en majorité des particuliers qui souhaitent mettre en image et en couleur leur nom ou encore, des vignerons qui souhaitent des armes pour illustrer leurs étiquettes de vin et depuis peu, des entreprises commencent à se renseigner... La création d’armoiries peut être menée de différentes manières selon l’histoire du commanditaire, celle de sa famille ses origines sociales et géographiques... Dans ce domaine, il n’y a pas de recette type sauf peut-être la prise en compte d’une donnée fondamentale : le nom et la possibilité qu’offre le vocabulaire du blason (la langue qui décrit les armoiries) de jouer avec l’étymologie des patronymes, dans toutes les langues régionales et nationales, de faire des rébus. Ces armoiries seront ce que l’on appelle des armes "parlante". Il est très important de souligner ici qu’afin de prévenir toute confusion dans l’esprit de mes commanditaires, il leur est précisé d’emblée que les armoiries qu’ils porteront n’auront aucun lien avec la noblesse ou même son apparence... (couronnes nobiliaires, armoiries de famille nobles brisées...) honnêteté intellectuelle et déontologie professionnel-le obligent.
En ce qui concerne les personnes morales, la création d’armoiries la plus répandue est celle destinée aux communes. Les petites communes choisissent plus volontiers des armes qu’un logo (le logo ne dure souvent que les cinq ans de la législature du maire). Les villes plus importantes ont tendance à jouer sur la complémentarité des armoiries comme emblème historique de la ville (qui ancre son identité et celle de ses habitants dans un passé commun), et du logo comme emblème d’une équipe municipale, d’un moment donné en prise avec l’activité économique. J’attache beaucoup d’importance à ce que mes créations d’armoiries communales soient toujours soumises à l’avis consultatif de la Commission Nationale d’Héraldique, car elle est composée des meilleurs spécialistes français.

Sur quels supports peut-on présenter vos réalisations ?

 Mon premier rôle dans ce domaine est de proposer un carton pour adapter sur d’autres matériaux et avec d’autres techniques, soit mes tableaux, soit une commande spécifique. Il s’agit d’un dessin tenant compte des contraintes particulières des supports et des techniques utilisées pour l’exécution d’armoiries par un artisan d’art. Pratiquement tous les supports et toutes les techniques peuvent être imaginées pour décliner les armoiries. Les plus traditionnels sont les suivants : la gravure sur métaux précieux et pierres fines pour la réalisation de chevalières, la gravure d’argenterie et d’orfèvrerie, la réalisation de bijoux ; le vitrail ; le gaufrage de papier et la gravure en taille-douce pour le papier à lettres et les cartes de visite ; les émaux d’art ; la peinture sur porcelaine ; la gravure sur cristal... Je tiens beaucoup à ce que mes clients puissent faire réaliser leurs travaux par les meilleurs artisans d’art de notre pays et, pour leur plus grande satisfaction.

Notre couverture est réalisée par Laurent Granier :

L’Aigle Lorraine : Bannière aux trois alérions soutenue par l’aigle de la Maison de Lorraine (suivant les indications de M. Hubert Colin, conservateur des archives lorraines et d’après l’Armorial des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, concernant Louis de Lorraine, pair et grand écuyer de France). Description héraldique : Aigle de sable couronné d’or, languée de gueules, colletée d’un collier de perles d’argent auquel est appendue une croix de Lorraine d’or.

Au dos de couverture : Bannières des quatre Grands Chevaux de Lorraine : Haraucourt, Ligniville, Lenoncourt du Châtelet. Par une tradition immémoriale, ces quatre familles sont considérées comme les plus anciennes de la chevalerie lorraine originaires du duché.

Bibliographie :
Nous recommandons vivement à nos lecteurs l’ouvrage de Pierre Joubert (RLP n° 93, 101 et 117) récemment publié aux Editions Alain Gout, "Les Lys et les Lions", initiation à l’art du blason.

Théodore Veyrin-Forrer : "Précis d’héraldique". Larousse 2000 - Edition remise à jour et révisée par Michel Popoff.

Michel Pastoureau : "Figures de l’héraldique". Découvertes Gallimard – n° 284.