La Demeure Historique
3e trimestre 1998, n° 130
Vers un nouveau style héraldique français
par Édouard Secretan
Vice-président de la Société française d ’héraldique et de sigillographie,
illustrations de Laurent Granier Héraldiste
Il est définitivement admis aujourd’hui que l’apparition des armoiries n’est en rien due aux Croisades ni à l’Orient, ni à l’Antiquité gréco-romaine ni même aux envahisseurs germains [1].
Leur apparition dans la première moitié du XIIe siècle est liée à des causes essentiellement militaires, mais très vite leur emploi s’est étendu, essentielle-ment par l’usage du sceau, aux non-combattants et tout d’abord aux femmes, dès 1156. Il fallait bien, pendant que les chefs de famille s’épuisaient dans des guerres meurtrières, qu’elles puissent gérer les affaires et signer des actes.
L’usage des armoiries s’est ensuite rapidement répandu dans toutes les catégories sociales : les ecclésiastiques, vers 1200 ; les bourgeois, vers 1220 ; les artisans et les paysans, vers 1230 ; les communautés civiles et les communautés religieuses.
Le caractère familial et héréditaire des armoiries ne s’est imposé que lentement. Ce n’est qu’au XIVe siècle que les armoiries sont devenues définitive-ment des emblèmes familiaux que l’on se transmettait de génération en génération.
L’extension des armoiries en dehors du domaine militaire leur a fait perdre l’aspect martial. Autour de l’écu contenant les éléments héraldiques fixes appartenant à la famille, ou à la communauté, et qui doivent être impeccablement maintenus et reproduits, apparais-sent les ornements extérieurs : casques, Cimiers, couronnes, insignes de dignité, devises, emblèmes, des supports de toute nature, animaux, êtres humains, plantes, etc.
Ces ornements extérieurs peuvent ne pas être les mêmes pour tous les membres d’une famille, et donc varier selon la personnalité du porteur des armes et correspondre à son état, à ses fonctions, à ses goûts ou même, tout simplement, être dus à l’imagination de l’artiste chargé de reproduire les armoiries.
La représentation des ornements a évolué au cours des siècles suivant le goût de l’époque ou celui des artistes.
En France, on est passé successivement de la simplicité et de la robustesse du Moyen Age à l’imagination foisonnante de la Renaissance, puis à l’art plus solennel et un peu raide du XVIIe siècle qui a lui-même fait place à la liberté d’expression élégante du XVIIIe siècle avant de tomber dans un style souvent compassé, sans fantaisie et quelquefois mièvre du XIXe siècle.
Rares ont été à cette époque, comme aussi au XXe siècle, les efforts réussis d’une originalité respectueuse toutefois de l’esprit de l’héraldique et s’exprimant clans un style fidèle à la tradition française de simplicité, d’élégance et de clarté.
Le document présenté ici paraît un excellent exemple de ce qu’un artiste peut obtenir en interprétant avec talent tous les éléments des armoiries de maisons royales, alliés à l’évocation de la personnalité du destinataire de l’œuvre.
Il s’agit d’une miniature au chiffre de Madame la comtesse de Paris, née S.A.R. la princesse Isabelle d’Orléans-Bragance.
Au cœur du dessin, deux L d’or entrelacés et surmontés de la couronne royale. Sous le monogramme, un cerf couché « au naturel » et « ramé d’ or ». Cet animal, « le roi des forêts », gibier aristocratique par excellence, symbolise la passion de Madame pour la chasse. Le cerf ne porte pas de couronne mais ses bois sont d’or, métal pré-cieux, et constituent sa parure royale. Le cerf ailé était, rappelons-le, un des emblèmes de la maison de Bourbon, porté par les rois, de Charles V à Louis XII.
Le fond bleu « de France » du tableau évoque la couleur préférée de la princesse, et le ciel sans nuage celui d’Eu qu’elle aime tant.
À dextre, une branche de lis au naturel symbole de la dynastie capétienne, et à senestre, une branche de caféier portant des baies et des fleurs, et qui figure dans les armoiries des Orléans-Bragance, empereurs du Brésil.
Les deux branches sont liées par le nœud d’un ruban d’azur, symbole de l’union des deux rameaux capétiens par le mariage de Monseigneur le comte de Paris et de la princesse Isabelle d’Orléans-Bragance.
D’une manière plus parlante et plus féminine qu’une représentation héraldique classique, ce tableau évoque tout ensemble les origines familiales et les goûts de la comtesse de Paris, dans un esprit qui rappelle celui des princesses de la Renaissance, si magnifiquement symbolisé par la tapisserie de la Dame à la Licorne avec, aussi, l’élégance et la grâce d’un dessin du XVIIIe siècle.
L’autre document également présenté ici, a été exécuté par le même artiste mais dans un genre très différent.
Un dessin à l’encre sépia, reproduction interprétée d’une œuvre ancienne, illustre la lointaine communauté d’origine de deux familles de l’Empire sous forme d’un chêne dont le tronc robuste, solidement ancré dans le sol, se divise en deux branches d’inégale grosseur, à chacune d’elles est suspendu par une courroie un écu. La branche la plus importante supporte l’écu des Lannes Montebello, la seconde branche celui des barons de Cassagne. Les deux patronymes figurent au-dessus du sol, à gauche et à droite du tronc. Le fait d’être au trait donne à ce dessin une grande simplicité et une agréable lisibilité.
Bien que très différents de nature et d’expression, les deux documents présentés allient heureusement l’art héraldique le plus pur à une souplesse d’exécution très moderne, ce qui leur donne une élégance et une finesse dans la ligne d’un style bien français.