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2003 - Comtemporary international ex libris artists (P) fr

Comtemporary international ex-libris artists,

Portugal 2003.
LAURENT GRANIER : SA VIE, SON ŒUVRE.
Par Nicolas VERNOT,
Historien et héraldiste.

Le soin de la couleur qui caractérise les œuvres héraldiques de Laurent Granier ne semblait a priori pas destiner l’artiste à se tourner avec autant d’aisance dans la réalisation d’ex-libris. Et de fait, c’est assez tardivement qu’il s’y est intéressé : en activité à Lyon depuis 1995, Laurent s’est d’abord acquis une solide réputation en France pour la qualité de ses dessins et peintures héraldiques, remarqués notamment dans les expositions qu’il a présentées lors du XXIVe Congrès International des Sciences Généalogique et Héraldique tenu à Besançon en 2000, ou encore au musée de la Légion d’honneur à Paris en 1999. Parmi les particuliers qui ont fait appel à lui figurent notamment Madame la Comtesse de Paris, feu le Cardinal Billé Archevêque de Lyon et Michel Popoff (héraldiste de renom, conservateur des monnaies, médailles et antiques à la Bibliothèque nationale de France).
C’est par le hasard des commandes de ses clients que Laurent a été progressivement amené à diversifier les supports de ses réalisations, parmi lesquels les ex-libris vont désormais figurer en bonne place. Au-delà d’une solide connaissance tant de l’art que de la science héraldiques, il découvre alors avec intérêt les collections françaises d’ex-libris, dont il se met bientôt à dépouiller le contenu, sans renier non plus l’influence des marques d’imprimeur.
Si beaucoup de ses ex-libris sont exclusivement héraldiques, on ne doit pas pour autant s’attendre à une composition fade et sans imagination. Laurent Granier a su, en l’espace de quelques années, s’imposer en France comme l’un des meilleurs artistes héraldistes du pays, et sa réputation dépasse désormais les frontières nationales. C’est qu’il a su mettre fin à des décennies de médiocrité dans ce domaine, une médiocrité dont les racines sont anciennes. En effet, l’art héraldique, déjà fort mal en point aux dernières lueurs de l’Ancien régime, a été officiellement disgracié par une Révolution dont l’influence idéologique, pour ne pas dire mythologique, est encore bien présente dans l’imaginaire national français. En témoigne la fragilité du renouveau héraldique français au cours du XXe siècle, surtout si on le compare à ce qu’ont connu les nations voisines. De fait, il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu d’artiste héraldiste français aussi à même de soutenir la comparaison avec ses homologues européens.
Se démarquant nettement face aux tendances stylistiques contemporaines anglo-saxonnes ou germaniques, les œuvres de Laurent Granier parviennent à imposer un style délicat sans affectation, concis sans sécheresse. Puisant au meilleur de la tradition héraldique, son inspiration oscille entre la fin du Moyen Age et les débuts de la Renaissance. En témoigne par exemple la joyeuse asymétrie toute médiévale qui apparaît sur son propre ex-libris (2002), ou au contraire le raisonnable équilibre des armes de Maria da Conceição (1999). Laurent n’hésite d’ailleurs pas à aller de l’une vers l’autre dans la même œuvre : symétrie et asymétrie se combinent ainsi savamment pour se mettre mutuellement en valeur dans l’ex-libris de Jérôme Francou (2000).
Tout comme l’ex-libris, chaque écu armorié est un univers clos dans lequel s’agite l’infini des interprétations symboliques. On saura gré au talent de Laurent Granier de rendre compte de cette dimension onirique grâce à l’ajout, par exemple, de détails bienvenus tels que les orifices d’aération des heaumes dont la silhouette reprend la figure principale de l’écu (ex-libris Granier et Popoff (2000)). De même, le cerf blessé surmontant les armes d’Isabelle et Jean-Yves Pons (1999) paraît tout droit sorti d’une forêt légendaire, sans même parler de cette surréaliste « main en pied » tenant l’écu lui-même très mystique de Louis-Pierre Varigny (2000).
L’héraldique et ses combinaisons, savamment maîtrisées par Laurent, se prêtent sous sa plume à des variations infinies. L’ex-libris réalisé pour le magistrat Jean-Patrick Péju (2000), dans lequel s’affrontent les emblèmes héraldiques parlants du Lyonnais et du Dauphiné, intègre des éléments qui, sans être à proprement parler héraldiques, s’inspirent de l’art du blason, tels ces élégants rinceaux de tilleul aux couleurs alternées.
L’ex-libris d’Anne Goyet-Granier (2002) ne se démarque qu’en apparence des réalisations antérieures, tant l’esprit qui a présidé à sa conception reste le même : sens aigu de la composition qui dévoile de manière discrète l’influence de l’héraldique, allusion au Moyen Age par le sol orné de « mille fleurs » et à la Renaissance par la présence du chiffre sur l’ouvrage que tient une loutre dont la présence suffit à démontrer que l’humour n’est pas étranger à Laurent.
Toute l’œuvre de Laurent témoigne de sa capacité à faire de l’héraldique non pas un carcan stérile mais au contraire une source permanente d’inspiration, d’autant plus féconde qu’elle est en permanence croisée avec d’autres références culturelles et artistiques. Chez Laurent, la rigueur n’étouffe jamais la sensibilité, pour le plus grand plaisir des amateurs d’ex-libris.