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2011 – Votre Généalogie (FR)

Votre Généalogie

n° 41 – Février / Mars 2011

UN PEINTRE- HERALDISTE CONTEMPORAIN 
LAURENT GRANIER (né en 1966)

Par Dominique Delgrange

L’intérêt pour l’héraldique ne peut se développer que si des artistes sensibles et doués travaillent à donner forme aux représentations d’armoiries et à les adapter avec bon goût aux exigences de l’époque. Entre 1945 et 1965, Robert Louis a imprimé sa marque sur l’emblématique française en offrant aux administrations françaises une large palette de réalisations. L’héraldique française du XXIme siècle commençant est admirablement représentée par Laurent Granier. Le style souple, fleuri et orné avec lequel il s’exprime est plus proche de celui de Suzanne Gauthier (+ 1981) que du trait de l’allemand Otto Hupp (+ 1949). Exerçant son art depuis Lyon où il s’est installé en 1995, Laurent Granier a bien voulu répondre aux questions de « Votre Généalogie ».

Quels ont été les éléments déclencheurs de votre vocation d’artiste héraldiste ?

Mon père a retrouvé quelques uns de mes dessins d’enfant pieusement conservés dans les archives de mes grands- parents. Ces réalisations juvéniles montraient des châteaux, des chevaliers, des drapeaux et des armoiries respectant déjà les règles héraldiques… Aussi loin que mes souvenirs remontent, je crois avoir été très tôt impressionné par la civilisation médiévale et par ce qu’elle a produit de plus attirant pour les yeux d’un enfant : les armoiries. J’ai certainement été un jour fasciné par de belles armoiries polychromes dans une église ou un château de mon Dauphiné natal. La passion pour l’Histoire remonte donc à l’enfance ; des études littéraires se sont ensuite évidemment imposées : Lettres Modernes, Histoire Contemporaine.

Je n’ai pas travaillé sur des sujets héraldiques à l’Université, en effet, après un bref sondage auprès de mes professeurs, j’ai compris que la discipline héraldique n’avait pas sa place et que sa réputation n’était pas très bonne au sein de l’institution. Après l’obtention des maîtrises et une année scolaire comme Maître auxiliaire dans un lycée professionnel en « Z.E.P », j’ai connu une période de remise en question totale, j’ai donc décidé de revenir à ma grande passion pour l’héraldique et pour la peinture, mettant tout en œuvre afin d’en vivre. Une période de chômage m’a permis de réfléchir à un projet professionnel. Travaillant le dessin, l’aquarelle et la gouache, j’ai acquis une bonne maîtrise technique avant d’en faire un véritable métier. Une grande différence sépare la pratique artistique de loisir et la démarche professionnelle qui oblige à vendre le produit de sa création… J’ai déclaré mon activité en octobre 1995, quelques jours après mon mariage. Avec le recul, je me dis aujourd’hui que j’étais alors complètement fou de me lancer comme cela sans aucun filet, mais la passion a eu le dessus sur la raison.

Quelles sont les réalisations que vous proposez ?

Mes travaux sont purement héraldiques ; récemment, j’ai conçu des emblèmes à mi-chemin entre armoiries et logotypes, pour des entreprises ainsi que des initiales ornées ou « chiffres » pour les particuliers. Par ailleurs, la demande anglo-saxonne me porte à explorer avec beaucoup d’intérêt la piste des badges.

En ce qui concerne la gamme dans laquelle je travaille, étant d’un caractère entier, je ne fais que du « sur mesure ». Si je réalise des dessins numériques ce sont alors des cartons destinés à la fabrication d’objets manufacturés ou produits en série. J’ai adopté cette même démarche avec les artisans qui travaillent pour moi, ils sont les meilleurs dans leur domaine, bijoux ou matrices de cachets. Je ne suis pas un « homme de métier » mais malgré cela, nous nous comprenons parfaitement car nous sommes unis par l’amour de la « belle ouvrage ».

Votre « clientèle » est- elle uniquement française ?

Permettez-moi de préciser d’emblée que le terme « client » n’est pas péjoratif à mes yeux. Cela ne m’empêche pas d’avoir des rapports très cordiaux avec mes commanditaires dont certains deviennent même des amis. Il m’est absolument impossible d’avoir des relations impersonnelles avec eux. Ma clientèle est constituée à 95% par des particuliers. Elle est encore majoritairement francophone, mais j’ai de plus en plus de demandes provenant de l’étranger : d’Europe et du reste du monde. Ainsi, je me suis mis à travailler en anglais une partie de la journée. Au sein de ma clientèle francophone, il y a de plus en plus de Français expatriés installés, en particulier en Asie. Depuis quelques années je travaille aussi pour des Américains revendiquant une ascendance française plus ou moins lointaine et préférant s’adresser à un professionnel français compétent plutôt qu’à un héraldiste « généraliste » américain. Une sorte de retour aux sources !

La création d’armoiries personnelle et familiales est une affaire à d’individus : un membre de la famille prend l’initiative de la création, souhaitant en faire profiter le reste de la famille, d’autres au contraire font seul cette démarche, considérant les armoiries comme un symbole exclusivement personnel, se démarquent du reste de leur famille. Il est assez rare qu’une famille entière s’adresse à moi d’un commun accord, mais j’ai pu remarquer que le décès des parents provoque presque toujours chez les enfants un besoin de mettre en place une symbolique familiale.

Il est assez difficile d’établir un profil type, une catégorie socio- professionnelle de mes clients ; en grossissant le trait, je dirais que je travaille pour des hommes et des femmes qui considèrent la famille comme une valeur dominante dans la vie. Il s’agit majoritairement de personnes ayant fait des études supérieures, leur niveau de vie permettant de s’octroyer un plaisir parfois coûteux. Il m’arrive également de travailler pour des clients aux moyens modestes qui font un sacrifice afin d’acquérir une réalisation très importante à leurs yeux. Les mariages, dans des familles « armigères », possédant des armoiries, suscitent souvent la demande de réalisation d’armoiries d’alliances. Peintes à la main, les armoiries témoignent de ce que les clients souhaitent retenir ou mettre en avant de leurs origines, leur famille, leurs centres d’intérêt, leurs activités. L’écu dont la forme provient de l’ancien bouclier médiéval, accompagné ou non des éléments extérieurs, comble le besoin d’identification avec goût, un certain chic qui ne retrouve pas dans le « logo ».

Mes clients français comme étrangers émettent le même type de demande : c’est donc la création d’armoiries qui reste majoritaire. Je suppose que c’est parce que j’ai une réputation de compétence dans ce domaine. Un autre type de demande concerne la personnalisation d’armoiries déjà existantes en créant des cimiers, des devises ou des supports et tenants. Il semble que la formidable plasticité des armoiries commence à être appréhendé par le grand public.

La grande et récente nouveauté pour moi est la clientèle asiatique (fig. 3). C’est un beau défi qui se profile. Les gens bougent de plus en plus dans le monde, les mariages mixtes se multiplient, ces phénomènes ont une grande influence sur la demande héraldique. D’une manière générale, je suis passionné par la diversité des cultures héraldiques et toutes ces demandes nouvelles rendent mon travail toujours plus riche et intéressant.

Et le domaine de l’héraldique « administrative » ?

Je travaille rarement pour des collectivités territoriales, j’avoue avoir peu d’intérêt pour l’héraldique communale dont les processus de décisions sont souvent lents et sinueux, il faut faire beaucoup de compromis pour satisfaire tout le monde, au détriment de la qualité et de la lisibilité.

Quel avenir et quelle évolution voyez- vous pour l’héraldique ?

Lorsque je me suis installé, je devais faire face à des demandes les plus extravagantes les unes que les autres, au fil des ans j’ai lentement pu me rendre compte que les choses allaient mieux. Mes clients sont de plus en plus nombreux à me contacter avec un avant-projet bien documenté. Par rapport à la situation des années 1990, je constate que la connaissance de l’héraldique a fait beaucoup de progrès en France. Le grand public est passé d’une ignorance quasi totale agrémentée de fantasmes nobiliaires, à une connaissance basée sur la lecture des meilleurs manuels d’héraldique ou la consultation des quelques bons sites internet de vulgarisation. Plusieurs ouvrages parus depuis plus de cinquante ans ont montré de nouvelles perspectives : Le système héraldique français de Rémi Mathieu en 1946, le manuel du Blason de Galbreath et Jéquier et plus récemment les éditions successives du Manuel d’héraldique de Michel Pastoureau (depuis 1979). Les particularités et la simplicité de l’art héraldique français sont maintenant plus accessibles, tout comme le caractère « libéral » de la capacité héraldique en France. Je pense que cette grande liberté est un atout pour un professionnel comme moi. Travaillant en temps que peintre officiel du « Vlaamse Heraldische Raad », je constate qu’il y a une la différence entre un héraldiste qui peut concevoir des armoiries de A à Z et celui qui est un exécutant, même si les membres du bureau du V.H.R. sont d’excellents héraldistes toujours ouverts aux éventuelles suggestions de leurs artistes. En Russie, l’héraldique a longtemps été très fade mais depuis la fin de l’URSS le renouveau est intense et souvent de qualité 1.

Cependant, depuis quinze ans, certains auteurs soutenus par des éditeurs « flairant » une bonne opportunité commerciale, ont mis sur le marché de très mauvais petits livres d’héraldique destinés au grand public. On me permettra de regretter que ces opuscules soient « distribués » dans les boutiques des musées… En effet, il est impossible, hélas, d’empêcher les gens de vouloir faire n’importe quoi ou plus grave : certains individus prétendent être des professionnels et créent des armoiries sans queue ni tête ou sur la base d’armoiries territoriales ou par homonymies, ajoutent des couronnes de rangs ou d’autres ornements extérieurs extravagants à ceux qui traditionnellement n’y auraient pas droit. En fréquentant « internet » tous les jours, on est frappé de voir le meilleur cohabiter avec le pire, cet outil formidable permet d’accéder aux sources documentaires numérisées les plus pointues, mais on peut regretter le niveau très inégal des « forums de discussion ».

Enfin, disons que l’héraldique attire toujours l’attention du public à partir de supports variés, grâce à la diffusion des armoiries sur internet et dans les livres ; l’attirence pour beauté des armoiries est une des raisons de cet engouement. L’héraldique demeure la science annexe de l’Histoire la plus populaire même si elle ne fait pas partie des savoirs fondamentaux du grand public. J’espère à tout le moins que le nombre et le niveau des sites internet de vulgarisation ne cessera de s’élever afin que tous ceux qui s’intéressent à l’héraldique puissent facilement avoir accès à une information de qualité.

Coordonnées de Laurent GRANIER, Peintre- Héraldiste
3, rue Tavernier
69001 LYON (France)

Tél. + 33 (0)4 78 72 61 37
Tél. + 33 (0)953 74 61 37 (coût appel local de France métropolitaine)
www.laurentgranier.com

1 Laurent Granier est membre (à titre honorifique) du Collège Héraldique Russe, peintre du « Vlaamse Heraldische Raad » (VHR), Autorité Héraldique Flamande, Belgique depuis 2006…